01 fevereiro 2013

 

L' appel des écrivains pour l'Europe (Le Monde, 25 de Janeiro)




Par : Bernard-Henri Lévy, Salman Rushdie, Claudio Magris, Antonio Lobo

Antunes, Fernando Savater, Julia Kristeva, Juan-Luis Cebrian, Peter

Schneider, Vassilis Alexakis, Hans-Christoph Buch, Umberto Eco, Gÿorgy

Konrád,



L’Europe n’est pas en crise, elle est en train de mourir.



Pas l’Europe comme territoire, naturellement.



Mais l’Europe comme Idée.



L’Europe comme rêve et comme projet.



Cette Europe selon l’esprit célébrée par Edmund Husserl dans ses deux

grandes conférences prononcées, en 1938, à Vienne et à Prague, à la

veille de la catastrophe nazie.





Cette Europe comme volonté et représentation, comme chimère et comme

chantier, cette Europe qu’ont relevée nos pères, cette Europe qui a su

redevenir une idée neuve en Europe, qui a pu apporter aux peuples de

l’après seconde guerre mondiale une paix, une prospérité, une

diffusion de la démocratie inédites mais qui est, à nouveau, sous nos

yeux, en train de se déliter.





Elle se délite à Athènes, l’un de ses berceaux, dans l’indifférence et

le cynisme des nations-sœurs : il fut un temps, celui du mouvement

philhellène, au début du XIXe siècle, où, de Chateaubriand au Byron de

Missolonghi, de Berlioz à Delacroix, ou de Pouchkine au jeune Victor

Hugo, tout ce que l’Europe comptait d’artistes, de poètes, de grands

esprits, volait à son secours et militait pour sa liberté ; nous en

sommes loin aujourd’hui ; et tout se passe comme si les héritiers de

ces grands Européens, alors que les Hellènes ont à livrer une autre

bataille contre une autre forme de décadence et de sujétion, ne

trouvaient rien de mieux à faire que de les houspiller, de les

stigmatiser, de les jeter plus bas que terre et, de plan de rigueur

imposé en programme d’austérité qu’ils sont sommés d’enregistrer, de

les dépouiller de ce principe même de souveraineté qu’ils ont,

naguère, inventé.



Elle se délite à Rome, son autre berceau, son autre socle, la deuxième

matrice (la troisième étant l’esprit de Jérusalem) de sa morale et de

ses savoirs, l’autre lieu d’invention de cette distinction entre la

loi et le droit, ou entre l’homme et le citoyen, qui est à l’origine

du modèle démocratique qui a tant apporté, non seulement à l’Europe,

mais au monde : cette source romaine polluée par les poisons d’un

berlusconisme qui n’en finit pas de finir, cette capitale spirituelle

et culturelle parfois comptée, aux côtés de l’Espagne, du Portugal, de

la Grèce et de l’Irlande, parmi les fameux « PIIGS » que fustigent des

institutions financières sans conscience ni mémoire, ce pays qui

inventa l’embellissement du monde en Europe et qui prend des allures,

à tort ou à raison, d’homme malade du continent – quelle misère!

quelle dérision !





Elle se délite partout, d’ouest en est, du sud au nord, avec la montée

de ces populismes, de ces chauvinismes, de ces idéologies d’exclusion

et de haine que l’Europe avait précisément pour mission de

marginaliser, de refroidir, et qui relèvent honteusement la tête:

comme il est loin le temps où, dans les rues de France, en solidarité

avec un étudiant insulté par un chef de Parti à la mémoire aussi

courte, lui aussi, que ses idées, on scandait « nous sommes tous des

juifs allemands»! comme ils paraissent loin, ces mouvements de

solidarité, à Londres, à Berlin, à Rome, à Paris, avec les dissidents

de cette autre Europe que Milan Kundera nommait l’Europe captive et

qui apparaissait comme le cœur de l’Europe! et quant à la petite

Internationale de libres esprits qui se battaient, il y a vingt ans,

pour cette âme de l’Europe qu’incarnait Sarajevo sous les bombes et en

proie à un « nettoyage ethnique» impitoyable, où est-elle passée et

pourquoi ne l’entend-on plus ?



Et puis l’Europe se délite enfin du fait de cette interminable crise

de l’euro dont chacun sent bien qu’elle n’est nullement réglée :

n’est-elle pas une chimère, pour le coup, cette monnaie unique

abstraite, flottante, car non adossée à des économies, des ressources,

des fiscalités convergentes ? les monnaies communes qui ont marché (le

Mark après le Zollverein, la Lire de l’unité italienne, le Franc

suisse, le dollar) ne sont-elles pas celles, et celles seulement,

qu’ont soutenues un projet politique commun? n’y a-t-il pas une loi

d’airain qui veut que, pour qu’il y ait monnaie unique, il faut un

minimum de budget, de normes comptables, de principes

d’investissement, bref, de politique partagées ?





Le théorème est implacable.



Sans fédération, pas de monnaie qui tienne.



Sans unité politique, la monnaie dure quelques décennies puis, à la

faveur d’une guerre, d’une crise, se désagrège.





Sans progrès, autrement dit, de cette intégration politique dont

l’obligation est inscrite dans les traités européens mais qu’aucun

responsable ne semble vouloir prendre au sérieux, sans abandon de

compétences par les États-nations et sans une franche défaite, donc,

de ces « souverainistes » qui poussent les peuples au repli et à la

débâcle, l’euro se désintégrera comme se serait désintégré le dollar

si les Sudistes avaient, il y a 150 ans, gagné la guerre de Sécession.



Jadis, on disait : socialisme ou barbarie.



Aujourd’hui, il faut dire : union politique ou barbarie.



Mieux : fédéralisme ou éclatement et, dans la foulée de l’éclatement,

régression sociale, précarité, explosion du chômage, misère.



Mieux : ou bien l’Europe fait un pas de plus, mais décisif, dans la

voie de l’intégration politique, ou bien elle sort de l’Histoire et

sombre dans le chaos.



Nous n’avons plus le choix : c’est l’union politique ou la mort.



Cette mort peut prendre maintes formes et emprunter plusieurs détours.



Elle peut durer deux, trois, cinq, dix ans, et être précédée de

rémissions en grand nombre et donnant le sentiment, chaque fois, que

le pire est conjuré.



Mais elle adviendra. L’Europe sortira de l’Histoire. D’une façon ou

d’une autre, si rien ne se passe, elle en sortira. Ce n’est plus une

hypothèse, une crainte vague, un chiffon rouge agité à la face des

Européens récalcitrants. C’est une certitude. Un horizon indépassable

et fatal. Tout le reste – incantations des uns, petits arrangements

des autres, fonds de solidarité Truc, banques de stabilisation Machin

– ne fait que retarder l’échéance et entretenir le mourant dans

l’illusion d’un sursis.












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